21 septembre 2007

Penser l'histoire à la lumière du 18 Brumaire











«Hegel fait remarquer quelque part que, dans l'histoire universelle, les grands faits et les grands personnages se produisent, pour ainsi dire, deux fois. Il a oublié d'ajouter : la première fois comme tragédie, la seconde comme farce.»

Le 18 brumaire de Louis Bonaparte (1853)






Karl Marx, connu pour être un activiste politique philosophe est avant tout, un théoricien qui pense l’histoire à travers la vision qui lui est propre. Sa critique du capitalisme démontre comment l’histoire est le résultat de la lutte des classes.

Karl Marx écrit Le 18 brumaire de Louis Bonaparte en 1853, c'est-à-dire juste quelques mois après la révolution de 1948 et la création du Second Empire. L’absence de recul historique n’est pas pour lui tant un handicap qu’un atout pour penser l’histoire en train de se faire. Il va analyser cette période mouvementée de l’histoire de France par le menu des faits. Fidèle au principe élaboré dans Le Manifeste du parti communiste : « L'histoire jusqu'à nos jours a été l'histoire de la lutte des classes », l’analyse ira de pair avec un réquisitoire virulent du système en place. La force de l’analyse s’exprime sans mal dans un style véhément qui trahit son parti pris pour le prolétariat contre la classe des possédants. En effet, en 1948 la bourgeoisie écrasera toute velléité de subversion ou d’insurrection de la classe ouvrière.

Avec l'extension de la révolution à l’Allemagne, Marx s’installe à Cologne pour y devenir rédacteur en chef de (La Nouvelle Gazette Rhénane). Personnellement engagé dans cette révolution, il sera arrêté après la victoire de la contre-révolution. Traîné devant les tribunaux, il déclarera pour sa défense devant les jurés : « Le premier devoir de la presse est donc de miner toutes les bases du système politique actuel ». Il sera acquitté.

Si les révoltes sont noyées dans le sang, il serait erroné de croire que Marx pense l’histoire du 18 Brumaire sous les aspects d’un retour du Même. Bien que les prolétaires en 1948 aient été massacrés, après avoir été trahi par leur alliance avec les républicains et les socio- démocrates, en 1871 période couverte par La Guerre civile en France, Karl Marx montre bien comment la Commune de Paris (1871) a réussi, fût-ce temporairement, à prendre le pouvoir et imposer sa vision politique.



- Penser l’histoire et déterminisme social.




En 1859, Marx écrit dans la preface à la Critique de l'économie politique:

Le premier travail que j'entrepris pour résoudre les doutes qui m'assaillaient fut une révision critique de la Philosophie du droit, de Hegel, travail dont l'introduction parut dans les Deutsch-Französiche Jahrbücher, publiés à Paris, en 1844. Mes recherches aboutirent à ce résultat que les rapports juridiques - ainsi que les formes de l'État - ne peuvent être compris ni par eux-mêmes, ni par la prétendue évolution générale de l'esprit humain, mais qu'ils pren­nent au contraire leurs racines dans les conditions d'existence matérielles dont Hegel, à l'exem­ple des Anglais et des Français du XVIII° siècle, comprend l'ensemble sous le nom de « société civile », et que l'anatomie de la société civile doit être cherchée à son tour dans l'éco­no­mie politique. J'avais commencé l'étude de celle-ci à Paris et je la continuai à Bruxelles où j'avais émigré à la suite d'un arrêté d'expulsion de M. Guizot. Le résultat général auquel j'arrivai et qui, une fois acquis, servit de fil conducteur à mes études, peut brièvement se formuler ainsi : dans la production sociale de leur existence, les hommes entrent en des rap­ports déterminés, nécessaires, indépendants de leur volonté, rapports de production qui corres­pondent à un degré de développement déterminé de leurs forces productives maté­rielles. L'ensemble de ces rapports de production constitue la structure économique de la société, la base concrète sur laquelle s'élève une superstructure juridique et politique et à la­quel­le correspondent des formes de conscience sociales déterminées. Le mode de production de la vie matérielle conditionne le processus de vie social, politique et intellectuel en général. Ce n'est pas la conscience des hommes qui détermine leur être; c'est inversement leur être social qui détermine leur conscience. À un certain stade de leur développement, les forces productives matérielles de la société entrent en contradiction avec les rapports de production existants, ou, ce qui n'en est que l'expression juridique, avec les rapports de propriété au sein desquels elles s'étaient mues jusqu'alors. De formes de développement des forces productives qu'ils étaient ces rapports en deviennent des entraves. Alors s'ouvre une époque de révolution sociale. Le changement dans la base économique bouleverse plus ou moins rapidement toute l'énorme superstructure. Lorsqu'on considère de tels bouleversements, il faut toujours distin­guer entre le bouleversement matériel - qu'on peut constater d'une manière scientifiquement rigoureuse - des conditions de production économiques et les formes juridiques, politiques, religieuses, artistiques ou philosophiques, bref, les formes idéologiques sous lesquelles les hommes prennent conscience de ce conflit et le mènent jusqu'au bout. Pas plus qu'on ne juge un individu sur l'idée qu'il se fait de lui-même, on ne saurait juger une telle époque de boule­ver­se­ment sur sa conscience de soi; il faut, au contraire, expliquer cette conscience par les contradictions de la vie matérielle, par le conflit qui existe entre les forces productives socia­les et les rapports de production. Une formation sociale ne disparaît jamais avant que soient développées toutes les forces productives qu'elle est assez large pour contenir, jamais des rapports de production nouveaux et supérieurs ne s'y substituent avant que les conditions d'existence matérielles de ces rapports soient écloses dans le sein même de la vieille société. C'est pourquoi l'humanité ne se pose jamais que des problèmes qu'elle peut résoudre, car, à y regarder de plus près, il se trouvera toujours, que le problème lui-même ne surgit que là où les conditions matérielles pour le résoudre existent déjà ou du moins sont en voie de devenir. À grands traits, les modes de production asiatique, antique, féodal et bourgeois moderne peuvent être qualifiés d'époques progressives de la formation sociale économique. Les rap­ports de production bourgeois sont la dernière forme contradictoire du processus de produc­tion sociale, contradictoire non pas dans le sens d'une contradiction individuelle, mais d'une contradiction qui naît des conditions d'existence sociale des individus; cependant les forces productives qui se développent au sein de la société bourgeoise créent en même temps les conditions matérielles pour résoudre cette contradiction. Avec cette formation sociale s'achè­ve donc la préhistoire de la société humaine.

Critique de l'économie politique Préface. Karl Marx.




Abdellatif Bouzoubaa. copyright © 2007

Penser l'histoire dans la tragédie : Le héros cornélien


"Andrea, à voix haute : Malheureux le pays qui n'a pas de héros. [...] Galilée : Non. Malheureux le pays qui a besoin de héros."
La Vie de Galilée, Bertolt Brecht


A- Le héros entre mythe et réalité


Le culte du héros, qu’il soit un personnage historique, tragique ou purement imaginaire met en évidence le désir de l’homme de transcender les conditions objectives de l’histoire et en même temps, la volonté de surpasser la condition humaine, comme l'illustre clairement la légende de Parsifal reprise par Richard Wagner.

Ce n’est donc pas un hasard si le commun dénominateur de tous les héros, qu’ils soient mythologiques, saints hommes ou personnages historiques, est l’exagération et l’idéalisation outrée de leur caractère et de leurs exploits qui culmine en une hagiographie doucereuse, soit dans une légende pour contes d'enfant, et dans le pire des cas, en un culte de la personnalité. Qu’on en fasse l’éloge dans la légende dorée ou dans l'épopée, le héros peut n’être, du fait de cette exagération que la voix de son maître au service d’une idéologie politique ou religieuse déterminée.



B- Penser l' histoire du XVIIe siècle dans le creuset de la Rome Antique.


Par le choix d’un sujet romain, corneille met Horace, le héros éponyme, en porte à faux entre tradition aristocratique et réflexion historique. L'intrigue de la pièce s'inspire de fait de l' Histoire Romaine de l' historien romain Tite Live, et plus précisément du chapitre intitulé Tullus Hostilus (I,22, 23) du même livre. L'on sait que si le choix du sujet remonte à l'antiquité romaine, cette tragédie historique n'est que la réfraction du passé dans le présent. Pour les contemporains du dramaturge, la guerre fratricide d'Albe et de Rome représente un écho lointain de ce qui se passe sous leur yeux. En effet, à cette époque Richelieu, protecteur de Corneille, suit de près voire encourage la guerre qui peut éclater à tout moment entre les deux royaumes frères ennemis, l' Espagne et la France. Comme l'écrira Doubrovsky:« Il y a des sympathies historiques comme il y a des affinités individuelles, certaines périodes communiquent entre elles, d'autres s'ignorent » S. Doubrovsky, Corneille et la dialectique du héros.


Dans ce contexte de guerre, Richelieu défenseur zélé du concept moderne de raison d'État, entend bien que l'on fasse l'apologie de l'héroïsme, de la vertu et de la gloire.


L'échec cuisant du Cid va amener Corneille à respecter les trois unités de l' action, de l'espace et du temps. Soucieux des règles de bienséance, et conformément à l'idéal du classicisme de la littérature française du XVII siècle. En fait, l'auteur d'Horace cherche le général derrière le particulier afin de construire un modèle rationnel à même de dénoter l’universalité sans pour autant offenser le goût du public.




*Synopsis de l'œuvre

L’action dans Horace se déroule à l'époque de la fondation de Rome. Au début de la pièce règne une ambiance paisible et heureuse : la famille romaine des Horace est unie à la famille albaine des Curiaces. Le jeune Horace est marié à Sabine, jeune fille albaine dont le frère Curiace est fiancé à Camille, sœur d'Horace.




Cette harmonie va s’effondrer sous les coups d’une guerre fratricide qui éclate entre les deux villes. Chaque ville se doit de désigner trois champions qui se battront en combat singulier. Le sort désigne les trois frères Horace pour Rome et les trois frères Curiace pour Albe. Les amis d’antan sont obligés désormais de se confronter. Tandis qu'Horace est exalté par son devoir patriotique, Curiace plaint un destin arbitraire et injuste.

le peuple est ému de voir ces héros des deux camps que la volonté des dieux à contraint à combattre pour le salut de leur patrie. Deux Horace périssent pendant le combat, le dernier faisant mine de fuir, va achever les Curiaces blessés et remporter ainsi ce combat. Mais après avoir reçu les félicitations des romains, Horace tue sa sœur qui lui reprochait le meurtre de son bien-aimé. Le procès qui suit donne lieu à un plaidoyer du vieil Horace, qui fait l’apologie de l'honneur aux dépens de l'amour. Horace sera acquitté malgré le réquisitoire de Valère, qui était aussi amoureux de Camille, tout comme Curiace.



C- Penser l'histoire et dilemme cornélien

C’est ainsi que la tragédie cornélienne met en scène des héros qui, confrontés à des situations dangereuses ou des dilemmes politiques et moraux, nécessitant des choix difficiles, font passer leur devoir au-dessus de tout. L'honneur, le devoir, sont les qualités de personnages dont le code moral et politique se donne à voir dans un parcours tragique où sentimentalité et ironie ne sont pas exclues. Tiraillé entre raison et sensibilité le héros cornélien aspire à la gloire au mépris de la réputation, choisit l’abnégation pour montrer qu’il est possible de triompher d’une nature humaine encline à la faiblesse.

Le choix vertueux, ou à plus forte raison l’acte vertueux, hisse le personnage au statut de héros édifiant et adulé par le public parce qu’il réalise sur scène ce qui est difficile à concrétiser dans la réalité.



Etudes pour situer et comprendre Horace de corneille.





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20 septembre 2007

Une Histoire plurielle.

« La vérité de l'histoire ne sera probablement pas ce qui a eu lieu, mais seulement ce qui sera raconté » Napoléon Bonaparte


L' étymologie du terme histoire a pour origine les "Enquêtes" (Ἱστορίαι [Historíai] en grec). Pour enquêter l'historien se doit de revenir aux sources du fait historique. Son investigation ne doit privilégier ni ignorer aucune piste de lecture. Aucun document historique, susceptible de l'aider, ne doit rester sans examen. Vu que le terme histoire désigne aussi par synecdoque , un ensemble de faits, l' historien est tenu du coup, de revenir au fait même, et si possible le dépouiller des représentations et des clichés qui se sont cristallisés autour de lui pour essayer de le penser tel qu'il est.




Pendant le Moyen Âge et à l’époque de l’Ancien Régime, l’histoire était placée sous le signe de la célébration et de la glorification des aristocrates et des rois. Et en effet, c’était une histoire sur commande et officielle taillée sur mesure pour illustrer les hauts faits des Grands Hommes. L’historiographe est à cette époque un simple courtisan à la solde du roi, et l’histoire qu’ il consigne plaçe son bienfaiteur sinon au centre de l'univers , le Roi Soleil, du moins au-dessus de la nation. Tout ce qui est de l’ordre du fait historique ou politique émane de ce centre rayonnant. Faire l'histoire ou la réécrire représentaient donc pour le monarque de droit divin, les instruments de l'Absolutisme même.




Dans cette perspective, les ouvrages historiques étaient aussi des Miroirs des princes. Le futur monarque puisaient ses leçons de stratégie dans la lecture de La Guerre des Gaules. Les Vies des hommes illustres de Plutarque l’initiaient à la vertu des Grands Hommes. En somme, l’histoire véhiculait des leçons de politique et de morale à l’usage du roi, et une une vision de l’histoire où le monarque est hissé, avec la bénédiction de l'église, au statut de vicaire de Dieu sur terre.




Le siècle des Lumières va affranchir l’histoire de son rôle de vassale du roi absolu et de l’église. Elle devient de plus en plus indécise, interprétative, analytique. Dés lors se posera la question de savoir Comment comprendre la Révolution française. Est-elle un simple accident de l'histoire ? Est-ce une rupture et une solution de continuité irrévocable avec le passé ?




A partir de cette époque, il y eut au moins deux lectures de la Révolution française. D’un côté les conservateurs qui soutiennent qu’ elle n’est qu’ un accident, et de l’autre les libéraux qui pensent qu’ elle est irréversible. C'est autour de de cette polémique entre deux visions antagoniques que va se développer un débat sur la polysémie du fait historique qui va se perpétuer jusqu' aux temps présents.