04 octobre 2007

Penser l’histoire dans Horace de Corneille


"De même Corneille a, selon les analyses de Doubrovsky, compris intuitivement la problématique de la société aristocratique du xviie siècle, et prophétisé comme en paraboles son déclin irréversible, alors qu'elle conservait « les apparences de la santé ». Dès lors aussi, ce « théâtre d'histoire » qui n'est pas un théâtre fait avec de l'histoire, peut non seulement être le mythe d'une histoire non encore accomplie lorsqu'il fut composé. Il est également mythe pour toute histoire à accomplir."

Billacois François. Annales. Histoire, Sciences Sociales 1966. Volume 21.pp. 456-459





Horace venant de frapper sa sœur
Louis jean François Lagrenelle




Horace est une tragédie de facture classique où le tragique est pensé selon une perspective historique. Placée sous le signe du patriotisme, la pièce de Corneille met en scène tant la question des fondements de l’Etat dans la Rome antique que les mutations historiques à l'Age Classique. L’histoire et la tragédie ont ceci de commun qu’elles représentent des visions rétrospectives afin de penser les origines et le devenir de la condition humaine. Il convient donc de se demander quel rapport entretient la tragédie classique avec l’histoire et comment l’histoire se mue en tragédie.




I- Un théâtre d’histoire


« Presque toutes les tragédies de Corneille se terminent dans une apothéose générale où chaque gloire satisfaite retrouve sa place. » Bénichou, Paul. Morales du grand siècle



a- La pensée historique au XVIIe siècle

Au début du XVIIe siècle, même si l’on assiste à un vif regain d’intérêt pour l’histoire, les historiens demeurent tributaires de la vision des humanistes de l’histoire. En effet, à cette époque on ne se préoccupe pas de l’histoire comme une finalité en soi , mais afin de valoriser l’homme. Cette quête qui remonte à l’antiquité gréco-romaine pour trouver les matériaux et la méthode pour penser l’histoire fait encore partie intégrante des belles-lettres et demeure enlisée dans une vision providentialiste qui se préoccupe moins de l’exactitude historique que de la volonté de plaire et d’instruire, conformément au credo classique.

Ce n’est que dans la deuxième moitié du XVIIe siècle que l’idée de Progrès a fait place à celle de Providence, en un temps où la France émergeant des guerres de religion, cherche à asseoir l’identité nationale sur de nouvelles assises.

C’est en 1640 qu’Horace est représentée devant Richelieu à qui la pièce est dédiée. Pour Corneille c’est une époque charnière où les mutations politiques et pensées historiques vont de pair. A mi-chemin des idéaux humanistes et de la vision des Lumières, le dramaturge prend le relais de l’historien non seulement pour véhiculer une morale où la nation est érigée en valeur suprême, mais aussi pour penser l’histoire en tragédien. Encore qu'il paye un tribut à Richelieu, en se faisant le chantre d'un héroïsme patriotique à travers le personnage d'Hoace, il n'accorde pas moins une portée tragique et humaine au personnage de Camille. Pourquoi fallait-il que Camille meurt? C'est une question que n'importe quel spectateur, qu'il soit du XVIIe Siècle ou d u XXIe siècle ne manquera pas de se poser. C'est justement, parce qu'il donne à voir le conflit entre passion et politique, entre l'humain et l'historique que cet auteur à acquis le statut d'auteur classique. A travers un genre considéré comme noble à l'époque, la tragédie, le dramaturge fait de Camille une métaphore universelle du conflit entre le désir et le pouvoir, du heurt entre l'individuel et le collectif, et enfin de l'opposition entre fatalité et histoire. L'idéal classique, ce n'est pas seulement atteindre à une harmonie de la forme, mais d'interpeller ce qu'il y de plus élémentaire et de plus sublime en nous.


b- Le vrai historique au détriment du vraisemblable.

Dans les Trois discours sur le poème dramatique véritable art poétique Corneille prône la vérité historique au détriment du vraisemblable : « les grands sujets qui remuent fortement les passions, et en opposent l’impétuosité aux lois du devoir aux tendresses du sang, doivent toujours aller au-delà du vraisemblable, et ne trouveraient aucune croyance parmi les auditeurs s’il n’était soutenus (…) par l’autorité de l’histoire qui persuade par empire ». Le recours à l’histoire procède donc d’une esthétique de la réception qui considère le spectateur et / ou le lecteur comme la pierre angulaire de la dramaturgie.

Après l’accueil défavorable du Cid, Corneille est persuadé que dans une pièce théâtrale le spectateur est une priorité par rapport aux normes édictées par Aristote et les doctes. L’auteur d’Horace se base sur Tite Live et « l’autorité de l’histoire » afin de mettre en scène le fratricide. Le meurtre de Camille étant un fait historique, le dramaturge n’aura besoin d’aucune complexité ou d’ornementation superfétatoire, pour le justifier. Il va sans dire que pour le public du XVIIe siècle, un tel acte, sans « l'autorité de l’histoire » semblerait complètement inadmissible : « il n’y a aucune liberté d’inventer la principale action (…) elle doit être tirée de l’histoire ou de la fable. Ces entreprises contre des proches ont toujours quelque chose de si criminel et de si contraire à la nature, qu’elles ne sont pas croyables, à moins que d’être appuyées sur l’une ou sur l’autre ». Trois discours sur le poème dramatique. Cependant le dramaturge dispose d’une marge de manœuvre quant aux circonstances dont émane l’action. Ainsi Corneille invente le personnage de Sabine dans le but d’accuser la tonalité émotive de la pièce. En effet, la femme d’Horace native d’Albe est doublement inquiétée par le sort de son mari et celui de sa cité d’origine. Dans une symétrie parfaite avec Camille qui court le risque de perdre son amant, Sabine apparaît, dès la scène d’exposition, aux prises avec un destin qui menace de lui enlever son mari. Les tourments des deux personnages féminins est le pendant exact de la peine des champions des deux cités que le sort oblige à s’affronter dans un combat fatidique.


II- Penser l’histoire et classicisme


a- Penser l’histoire et les règles de la tragédie classique

L’intérêt pour l’histoire s’est doublé d’une attention favorable pour la tragédie à l’instigation de Richelieu. Les dramaturges attirés par le statut social que leur promets le Cardinal rivalisent dans la composition de tragédies qui s'inspirent du mythe ou de l'histoire. De leur côté, les doctes, se fondent sur la poétique d’Aristote pour fixer les normes de la tragédie classique française. Et d'abord la règle des trois unités dont découle la vraisemblnce. Ainsi on peut lire dans l’Art poétique de Boileau : « qu’en un lieu, qu’en un jour, un seul fait accompli/ tienne jusqu’à la fin le théâtre rempli » Boileau insistera aussi sur la règle des règles qui est de plaire tout en respectant la bienséance en écrivant : « Le secret et d’abord de plaire et de toucher ».

1 - l’unité de lieu :

Horace n’enfreint pas la règle de l’unité de lieu. En effet, la première didascalie : « Dans une salle de la maison d’Horace » et les et la première scène du premier acte: «Les deux camps sont rangés au pied de nos murailles ;/ Mais Rome ignore encor comme on perd des batailles » indiquent un respect de l’unité de lieu. Outre le souci de la vraisemblance qui ne peut résulter que de la coïncidence de l'espace scénique avec le lieu de l'action, l'unité de lieu permet à corneille de tenir en haleine les spectateurs incertains quant au sort des Curiace.

2- L’unité de temps :

Corneille se plie également à cette règle qui harmonise la durée de la représentation théâtrale avec la durée de l'action représentée pour appuyer la vraisemblance comme le démontre la scène 3 du cinquième acte : « Puisqu’en un jour l’ardeur d’un même zèle/ Achève le Destin de son Amant, et d’elle, / Je veux qu’un même jour témoin de leurs deux morts/ En un même tombeau voie leur corps. »


b- la problématique question de l'unité d’action

L’on a reproché à Corneille de ne pas avoir respecté l’unité d’action en ajoutant à l’affrontement des Horace et des Curiace, le meurtre de Camille. De fait, Cette légère dérogation à la sacro-sainte règle des trois unités n'entame guère l'unité de la pièce. D'un côté, l'unité de péril se substitue à l'unité d'action, puisque le protagoniste est confronté à deux reprises et dans deux situations différentes (le champ de bataille, le tribunal), à un même danger. De l'autre, elle permettra à Corneille de rester fidèle à l’injonction d’Aristote qui considère que le tragique émane d’une situation violente où le héros bafoue les liens de sang.

Ainsi Corneille adapte le concept aristotélicien de la catharsis au contexte historique du XVIIe siècle. Les sentiments de pitié et de terreur que peut susciter le meurtre de Camille par son propre frère opère une purgation de l'âme d'un public mis en demeure de faire des choix historiques quant à son devenir politique. En effet, Dans le Discours de la tragédie et des moyens de la traiter selon le vraisemblable ou le nécessaire, Corneille commentant la poétique d' Aristote écrit: « Ainsi la pitié embrasse l'intérêt de la personne que nous voyons souffrir, la crainte qui la suit regarde la nôtre, et ce passage seul nous donne assez d'ouverture pour trouver la manière dont se fait la purgation des passions dans la tragédie». Penser l'histoire à travers ce meurtre inexpiable pointe vers la préséance de la valeur du Devoir sur les sentiments filiaux. Horace n'est absout que dans la mesure où il sanctifie le Devoir.

Certes, Corneille pense l’histoire romaine en moraliste et justifie l’irrationalité et la démesure d’un tel acte par l’intelligible raison d’Etat, si chère à Richelieu. Pourtant c’est se leurrer que de croire que Corneille utilise l’histoire à des fins uniquement morales , car on voit bien comment l’intrigue par sa trame même s’inscrit dans un devenir qui part de l’antiquité romaine et débouche sur les enjeux politiques et historiques de la France du XVIIe siècle. A cet égard Serge Doubrovsky, écrira dans Corneille et la dialectique du héros : « Le théâtre de Corneille n’est pas un théâtre qui se greffe sur l’histoire ; c’est un théâtre d’histoire ; non un théâtre qui utilise l’histoire, mais qui la réfléchit ».









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