29 septembre 2007

Penser l’histoire et philosophie

1-Penser l’Histoire et téléologie.







Les derniers jours de Pompéi.
Karl Pawlowitsch Brjullow.


Une tentative philosophique pour traiter l'histoire universelle en fonction du plan de la nature qui vise à une unification politique totale dans l'espèce humaine doit être envisagée comme possible et même comme avantageuse pour ce dessein de la nature. C'est un projet à vrai dire étrange, et en apparence extravagant, que vouloir composer une histoire d'après l'idée de la marche que le monde devrait suivre, s'il était adapté à des buts raisonnables certains; il semble qu'avec une telle intention, on ne puisse aboutir, qu'à un roman. Cependant, si on peut admettre que la nature même, dans le jeu de la liberté humaine, n'agit pas sans plan sans dessein final, cette idée pourrait bien devenir utile; et, bien que nous ayons une vue trop courte pour pénétrer dans le mécanisme secret de son organisation, cette idée pourrait nous servir de fil conducteur pour nous représenter ce qui ne serait sans cela qu'un agrégat des actions humaines comme formant, du moins en gros, un système.


Idée d'une histoire universelle du point de vue cosmopolitique, Kant


2-Le communisme et mort de la liberté








Ce que j’opposais au communisme, c’était avant tout le principe de la liberté spirituelle qui, pour moi, est primordial et absolu, et dont il est impossible de se dessaisir pour les biens de ce monde, quels qu’ils soient. Je soutenais également le principe précieux entre tous, celui de la personne indépendante de la société et de l’État ainsi que de l’ambiance extérieure. Par conséquent, je défendais l’esprit et les valeurs spirituelles. Or, le communisme tel qu’il se manifesta à travers la révolution russe rejetait la personne et rejetait l’esprit. C’est là et non pas dans son système social que paraît le mal démoniaque du communisme. Je consentirais à reconnaître l’organisation communiste sociale, économique et politique, mais non son caractère spirituel. Je suis, du point de vue religieux et philosophique, un anticollectiviste convaincu et acharné, mais je ne suis nullement antisocialiste. Seulement, mon socialisme est personnaliste, non autoritaire et n’admet pas la primauté de la société sur la personne, il part de la valeur spirituelle de chacun, parce que tout homme est un libre esprit, une personne, une image de Dieu. Je suis anticollectiviste, parce que je nie l’extériorisation de la conscience personnelle transposée sur le collectif. La conscience est le plus profond point de contact de l’homme avec Dieu. La conscience collective est un terme métaphorique. La conscience se transforme sous l’emprise de l’idolâtrie. En tant que religion, et le communisme veut en être une, le communisme fait du collectif une idole aussi exécrable que l’idole de l’État, de la nation, de la race, de la classe, auxquelles il se rattache. Mais socialement le communisme a raison, contrairement au capitalisme mensonger et aux injustes privilèges sociaux. Le mensonge du communisme est celui de tout totalitarisme. Le communisme totalitaire est une pseudo-religion et c’est notamment comme telle qu’il persécute toutes les religions, c’est une concurrence. Plus tard, la ligne de conduite à l’égard de la religion en Russie soviétique subit un changement. Comme les totalitaristes fascistes et nationaux-socialistes, le communisme demande le rejet de la conscience religieuse et morale, le rejet de la dignité suprême de la personne qui est un esprit libre.


Essai d’autobiographie spirituelle, Nicolas Berdiaeff.


3- L’idéalisme historique






Oedipe et le Sphinx
Gustave Moreau



Retrouver l'idée dans la nature, c'est difficile et périlleux quand la nature n'est qu'astronomie inerte et physique décomposée. Mais dans la vie des animaux il se montre déjà comme une ombre de l'esprit; toutefois la grande nature domine et reprend ces êtres sous la loi du recommencement. Il n'en est pas ainsi de l'homme; car l'histoire humaine laisse d'éternelles traces, art, religion, philosophie, où il faut bien reconnaître le pas de l'esprit. Cette histoire absolue éclaire l'histoire des peuples. Les constitutions, le droit, les mœurs sont encore d'autres traces, des traces de pensée. Mais il ne faut pas confondre ces pensées réelles avec les pensées de l'historien; de la même manière que la pensée qui est en la Vénus de Milo est autre chose que la pensée du critique. Ainsi on est emmené, si l'on veut penser vrai, à retrouver les pensées organiques qui ont travaillé de l'intérieur des peuples et des hommes, ce qui est lire l'histoire comme une délivrance de l'esprit. Or cette histoire réelle est bien une dialectique qui avance par contradictions surmontées; sans quoi l'esprit n'y serait pas. Mais cette dialectique est une histoire, en ce sens que la nécessité extérieure et la loi de la vie ne cessent d'imposer leurs problèmes. Par exemple l'enfant est un problème pour le père, et le père pour l'enfant. Le maître est un problème pour l'esclave, et l'esclave pour le maître. Le travail, l'échange, la police sont des nécessités pour tous. Aussi ce qui est sorti de ces pensées réelles, ce n'est pas une logique de la justice, c'est une histoire de justice, c'est le droit. Le droit est imparfait, mais en revanche le droit existe; et le droit est esprit par un devenir sans fin à travers des contradictions surmontées".


Propos sur la nature, Alain


4-Penser la fin de l'histoire






Déjeuner d'ouvriers sur un gratte-ciel
New York,Charles C. Ebbets





La plus grande peur de Nietzsche était que l'American way of life dû triompher, mais Tocqueville était résigné au caractère inéluctable de sa diffusion générale et s'en satisfaisait jusqu'à un certain point. à la différence de Nietzsche, il était sensible aux petites améliorations qu'une démocratie apportait dans la vie de la masse des petites gens. En tout état de cause, il sentait que la marche en avant de la démocratie était si inexorable que toute résistance était à la fois sans espoir et contreproductive: ce qu'on pouvait espérer de mieux était d'instruire les fervents partisans de la démocratie qu'il existait de sérieuse alternatives à leur régime favori, lequel ne pouvait être préservé qu'en modérant la démocratie elle-même. Alexandre Kojève partageait la croyance de Tocqueville dans le caractère inéluctable de la démocratie moderne, et concevait lui aussi le prix des termes similaires. Si l'homme est en effet défini par son désir de lutte pour la reconnaissance et par son travail pour dominer la nature, et s'il obtient à la fin de l'Histoire aussi bien la reconnaissance de son humanité que l'abondance matérielle, alors l'homme proprement dit dit cessera d'exister parce qu'il aura cessé de travailler et de lutter.

Francis Fukuyama, La fin de l'Histoire et le dernier homme, Champ Flammarion, p. 350.



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